#JamaisSansElles: les hommes du numérique veulent des femmes par Tatiana F-Salomon, L’Express

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Tribune parue dans l’Express le 30 janvier 2016, soit 10 jours après le lancement de #JamaisSansElles.

Ils sont acteurs ou patrons du numérique et se sont mobilisés pour ne plus jamais assister à des colloques ou réunions uniquement masculins: ce « club des gentlemen » en a fait un appel, que relaie et dont se réjouit notre contributrice, Tatiana F-Salomon. 

« Jamais sans elles », ou plutôt: #JamaisSansElles! Voilà le hashtag de la semaine, qui s’est propagé à travers les réseaux avec un dynamisme et une vigueur qui en ont surpris plus d’un… et d’une. Entré dans les « trending topics » dès son lancement le 23 janvier dernier, il a été potentiellement vu par plus de 3 millions de personnes sur leur timeline ces sept derniers jours (article publié le 30 janvier 2016 aujourd’hui c’est plus de 160 000 tweets, et 90 millions de personnes potentiellement touchées, en mai 2018).

Derrière ces trois mots, un appel simple, lancé sans détour et « avec conviction » par les membres du Club des gentlemen, que nous avons fondé en 2014 avec Guy Mamou-Mani, autour d’entrepreneurs et de personnalités du numérique engagées dans le débat citoyen et la transformation humaniste de la société.

Un appel, à titre individuel, à ne plus participer à des événements publics, débats, panels d’experts ou tables rondes, dans lesquels ne figurerait aucune femme.

Soutenu par des personnalités masculines

Dès son lancement, il a bénéficié de relais et de soutiens de poids à travers les réseaux sociaux et de nombreuses personnalités masculines ont rapidement fait savoir qu’elles souhaitaient se joindre aux premiers signataires et s’engager, elles aussi, à exercer leur vigilance dans ce domaine.

Dans un billet mentionnant cette dynamique, qui voit s’organiser le soutien fort bienvenu des hommes à la cause des femmes, le blog du « Programme EVE » pose une question pertinente: comment se fait-il que lorsque des femmes militantes s’expriment sur ce sujet, elles ne sont pas entendues, alors que le même message porté par des hommes semble faire mouche?

Pragmatisme

N’est-ce pas là, ironiquement, la meilleure illustration de ce que, décidément, seule la parole des hommes a de l’importance dans notre monde? Peut-être. Mais en matière de transformation de la société, la meilleure stratégie est toujours celle du pragmatisme.

Je n’ai jamais été une grande adepte de l’affrontement: c’est ce qui nous unit qui fait notre force, pas ce qui nous divise ou nous oppose. Nous vivons effectivement dans un monde à forte domination masculine, mais ce n’est pas forcément en nous combattant que nous rétablirons l’équilibre. Nous associer est à mon sens la meilleure stratégie. Et la plus naturelle. Si le but à atteindre est un monde où nous saurons oeuvrer ensemble pour nous enrichir mutuellement et faire jouer nos atouts respectifs et nos complémentarités, alors pourquoi ne pas commencer dès maintenant, y compris dans le combat pour faire bouger les lignes?

Le succès de l’appel #JamaisSansElles ne tient pas au seul poids des hommes qui l’ont lancé, mais sans doute à ce qu’il n’est pas perçu comme une revendication féminine. Et de fait, il n’a rien à voir avec une transaction ou une concession dans un jeu de pouvoir ou de rapport de force. Ce n’est pas une réponse à une demande d’influence plus grande qui serait formulée par les femmes.

Absence de pertinence

Certain(e)s pourront le déplorer, mais je trouve au contraire que c’est particulièrement réjouissant. Cela m’a toujours beaucoup gênée, voire humiliée, de voir des femmes se mettre en position de quasi-subordonnées pour réclamer, ou même quémander une reconnaissance et une visibilité qui ne devraient pourtant être ni une grâce, ni une faveur, mais la simple reconnaissance d’une légitimité pleine et entière.

Or il me semble que si les signataires de l’appel #JamaisSansElles s’engagent à boycotter les panels exclusivement masculins, ce n’est pas tant pour assurer un certain équilibre du pouvoir de débat, de communication et de décision, que par simple bon sens. Ils estiment – ils savent ! – forts d’expériences trop souvent répétées, que les colloques, événements et tables rondes 100% masculines sont fondamentalement bancales, incomplètes, et qu’une absence totale de mixité conduit inévitablement à une absence de pertinence.

Dans nos discussions avec les initiateurs masculins de l’appel, à l’image de Guy Mamou-Mani, Henri Verdier, Gilles Babinet, Étienne Parizot ou Jean-Michel Blanquer, Natacha Quester-Séméon et moi-même avons eu le plaisir de constater qu’il n’y avait aucune posture féministe, aucun discours pseudo-moral, aucune condescendance derrière ce mouvement.

Ces hommes qui s’engagent disent simplement à quel point il leur paraît absurde de participer à de tels événements publics sur des enjeux sociétaux, économiques, politiques, etc. qui se tiendraient exclusivement entre hommes. Et ce n’est pas aux femmes qu’ils le disent, mais à tous ceux qui perpétuent ces pratiques d’exclusion – parfois inconsciente, d’ailleurs, ce qui est presque pire -, et qui persistent à ne pas voir l’absurdité que tous les autres voient déjà (ou enfin ;-))

Large mobilisation

C’est pourquoi je suis heureuse de la réponse à cet appel, de sa répercussion dans différentes sphères de l’engagement publique, et de la large mobilisation qui l’accompagne.

A vrai dire, je n’en suis pas surprise outre mesure. Je pense sincèrement que ce n’est là que la partie visible d’une lame de fond qui traverse notre société, et qui a d’ailleurs d’autres composantes, comme on le voit aussi par exemple avec le mouvement Bleu Blanc Zèbre d’Alexandre Jardin, dont le travail extraordinaire est une source d’espoir et d’inspiration pour beaucoup, ou plus récemment le mouvement de La Transition, de Claude Posternak et Xavier Alberti. Tous trois – est-ce un hasard ? – sont d’ailleurs signataires de l’appel #JamaisSansElles, et membres du Club des gentlemen. Cette émergence multidimensionnelle est une très bonne nouvelle, qui surprendra sans doute par sa puissance tous ceux qui ne voient pas que les codes sont en train de changer. Qu’ils ont déjà changé.

Si nous avons fondé Girl Power 3.0 avec Natacha Quester-Séméon en 2006, c’est justement parce que nous avions noté l’absence de femmes dans le monde digital et le paradigme sociétal qui en découle, alors même que ce nouveau paradigme est par nature plus proche des valeurs généralement associées au principe féminin, qui met l’accent davantage sur la collaboration que sur la compétition, par exemple.

Il est clair que les femmes ont énormément à apporter dans ce domaine, et que leur investissement croissant sera précieux pour mettre en oeuvre de nouvelles approches et formuler de nouveaux enjeux. Là encore, pas de hasard: le parrain de l’association Girl Power 3.0 n’est autre que Benoît Thieulin, président du Conseil national du numérique, aujourd’hui signataire de l’appel et membre du Club des gentlemen.

27,4% de femmes dans le numérique

La route sera encore longue avant d’atteindre un meilleur équilibre, mais le chemin parcouru est déjà important. Et il est significatif, au bout du compte, que les hommes non seulement les plus ouverts et les plus éclairés, mais aussi les plus pertinents dans ce domaine, se soient rendus compte spontanément des effets négatifs de la faible représentation des femmes dans les mouvements de transformation qui traversent aujourd’hui la société. Comme le dit sans détour Guy Mamou-Mani, « dans le numérique il n’y a que 27,4% de femmes: quel gâchis pour nos entreprises et notre société! »

C’est bien l’absurdité de la mise à l’écart des femmes qui est le principal moteur du mouvement, et que cette absurdité commence à sauter aux yeux des hommes est le signe d’une évolution positive, annonçant, espérons-le, une étape nouvelle dans la construction d’une société plus juste et plus équilibrée.

Étant moi-même un pur produit de la contre-culture, j’ai toujours pensé que c’est ensemble que nous trouverions des solutions au défi de la transformation du monde.

Tatiana F-Salomon, présidente de #JamaisSansElles

Paris, janvier 2016


PS: le tout récent exemple des voeux du gouvernement à la French Tech (une quinzaine d’hommes, zéro femme) montre clairement que la partie est loin d’être gagnée. Mais il n’est pas surprenant, hélas! que le monde politique soit le plus en retard sur le sujet. Gardons le regard fixé sur la société qui avance, à travers les prises de position personnelles et l’engagement citoyen de ceux qui ont un monde d’avance, et encourageons-les!

La liste des signataires de #JamaisSansElles est ici.

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