#JamaisSansElles: au cinéma, la mixité c’est encore… du cinéma, par Jean-Paul Lilienfield

Il y a deux ans est apparu le terme "Trinity Syndrome", du nom du personnage de Matrix, pour désigner l'introduction d'un personnage féminin intéressant et extrêmement compétent qui est réduit au rang de bras droit du personnage principal masculin.
Il y a deux ans est apparu le terme « Trinity Syndrome », du nom du personnage de Matrix, pour désigner l’introduction d’un personnage féminin intéressant et extrêmement compétent qui est réduit au rang de bras droit du personnage principal masculin.

Dans le milieu du cinéma, la parité est une fiction. A l’occasion de l’ouverture du 69e festival de Cannes, ce mercredi, notre contributeur, le réalisateur de La Journée de la jupe, Jean-Paul Lilienfield, fait le point dans l’Express.

Le cinéma ayant été inventé par les Frères Lumières plutôt que par les Soeurs Brontë, il a d’abord été un outil masculin où les femmes sont apparues à l’image de la société, maîtresses fatales, épouses délaissées, fiancées rougissantes, mères angoissées, veuves éplorées… Elles n’étaient ni mieux, ni moins bien traitées dans ce secteur que dans les autres. Là comme ailleurs, elles reflétaient fidèlement la place des femmes dans notre mode de vie.

Mais aujourd’hui, à la veille du festival de Cannes, qu’en est-il?

« 22% des réalisateurs sont des réalisatrices »

Il y a plusieurs manières d’aborder cette question. Sous un angle statistique tout d’abord. Les chiffres sont tellement implacables que la messe est dite: en France, 22% des réalisateurs sont des réalisatrices (selon le CNC en 2014) qui perçoivent un salaire de 32% inférieur à celui des réalisateurs.

Si l’on ajoute qu’en France, la situation est plutôt favorable aux femmes, quand on la compare avec les autres pays européens, dans lesquels le pourcentage de femmes réalisatrices se situe globalement en-dessous de 10%, on rit ou on pleure?

« Nous n’avons pas besoin d’aide, nous avons besoin d’argent »

Quittons donc l’angle statistique pour passer à une approche qualitative. Il y a un an, à Cannes, trois réalisatrices on défendu les couleurs de la France: Emmanuelle Bercot (La Tête haute), Valérie Donzelli (Marguerite et Julien) et Maïwenn (Mon roi).

Si les convictions de Thierry Fremaux et Pierre Lescure ne sont probablement pas tout à fait étrangères à cette sélection exceptionnellement féminine, il ne faudrait pas pour autant crier victoire. Les femmes sont à peu près représentées dans les films à moins de six millions d’euros et sous-représentées dans les productions au-dessus de dix millions d’euros.

Frances McDormand, intervenante aux rencontres organisées par Kering sur la place des femmes dans le cinéma, a très bien résumé la situation: « We don’t need help, we need money » (Nous n’avons pas besoin d’aide, nous avons besoin d’argent).

« Un vrai film de femme »

Il semblerait que les films de genre demeurent l’affaire des hommes. Il y aurait donc des films de femmes et… des films.

Ces bons gros films bien couillus où les voitures vont vite, où les hommes tapent fort et où le sang gicle. Vous avez bien vu Kill Bill quand même? Contre exemple? Ok, parlons plutôt de Démineurs, de Kathryn Bigelow. Un vrai film de femme, qui démontre bien que le cinéma n’a pas de sexe.

D’ailleurs s’il en avait un, saurait-on dire ce qu’est un film d’homme? Et si l’on répondait à cette question comme je le fais plus haut par « bite, poil, couilles et testostérone », quel genre de cinéma faisait donc Ingmar Bergman pour ne citer que lui?

« Une vision ethno-centrée sur le genre masculin »

A propos de Suède, ce pays a adopté le test de Bechdel pour évaluer ses films, non pas artistiquement mais du simple point de vue du machisme. En posant trois questions: « Est-ce qu’il y a au moins deux personnages féminins identifiables? » « Se parlent-ils? » « Si oui, est-ce d’autre chose que d’un homme? » Une seule réponse négative démontre la vision ethno-centrée sur le genre masculin de l’oeuvre.

« L’art a-t-il un sexe? » est une question qui pourrait être débattue longuement. Ce qui ne fait pas débat en revanche, c’est qu’un artiste s’exprime avec son éducation, ses influences, son regard sur le monde et le regard que le monde porte sur lui. Or qui oserait prétendre que ces caractéristiques sont identiques chez un homme et une femme?

C’est pourquoi un cinéma fait majoritairement par des hommes se fabrique avec une subjectivité incontournablement masculine, qui finit par véhiculer une certaine image de notre société et des femmes.

« Dans 23% des films, le rôle principal est féminin »

Dans son ensemble, le cinéma fait la part belle aux hommes: le rôle principal est une femme dans 23% des films seulement. Et c’est un serpent qui se mord la queue. La réalité étant ce qu’elle est, la fiction qui s’en inspire ne peut la transformer au point de donner à des femmes des fonctions qu’elles n’ont que rarement dans la vraie vie.

Et bien si. L’art peut transcender la réalité et, en donnant à voir ce qui devrait être, donner la force de croire en ce que l’on peut devenir. L’enjeu va donc au-delà de la parité entre réalisateurs et réalisatrices. Il s’agit de sortir l’imaginaire collectif véhiculé par le cinéma des stéréotypes sexistes.

Pour toutes ces raisons spécifiques à mon métier, mais aussi pour beaucoup d’autres qui me heurtent au quotidien, je suis reconnaissant à Tatiana F-Salomon et Guy Mamou-Mani de cette initiative tellement évidente qu’on se demande comment il est possible que personne n’y ait songé avant. #JamaisSansElles, j’en suis et j’en suis fier. Pour faire en sorte que si le héros continue d’être admiré, l’héroïne ne soit plus un dangereux et méprisable poison.

Jean-Paul Lilienfield est réalisateur de cinéma. Il a notamment réalisé le film La Journée de la jupe. Il est membre du collectif #JamaisSansElles.


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