#JamaisSansElles: « La mixité n’est pas un enjeu de diversité, bien au contraire »

Cesser d’exclure les femmes et prendre conscience de l’aberration de leur absence, voici ce que propose l’astrophysicien et membre-fondateur de l’association #JamaisSansElles, Etienne Parizot, pour lutter contre la non-mixité des assemblées. Tribune parue dans l’Express.

Près d’un an après son lancement, la vivacité du mouvement #JamaisSansElles ne se dément pas, et c’est une excellente nouvelle! La raison en est sans doute que, dans le champ des actions citoyennes émergeant directement de la société civile, #JamaisSansElles se présente comme une réponse déconcertante de simplicité à un problème persistant et particulièrement embarrassant: l’immense déficit de femmes aux positions les plus en vue et les plus stratégiques de l’espace public et professionnel, alors même que leurs compétences et la pertinence de leurs analyses ne sont pas remises en cause par ceux qui sont en mesure de les juger.

Les femmes de talent ne manquent pas

Il y a un siècle ou deux, faute d’information, il pouvait paraître douteux à un public non-averti qu’une femme puisse exceller, par exemple, en mathématiques. Mais Gauss, lui, ne s’est jamais trompé sur les qualités exceptionnelles de Sophie Germain, pas plus que Weierstrass sur celles de la plus douée de ses élèves, Sophia Kowaleskaïa, ni Einstein sur la valeur d’Emmy Noether et de ses résultats pour le progrès de l’esprit humain. Ces noms, pourtant, n’évoquent probablement rien à la plupart d’entre nous. Et comment le pourraient-ils? Il ne viendrait jamais à l’idée d’un mathématicien que les femmes puissent ne pas être « faites pour les mathématiques », mais la question ne leur est pas posée. Si elle l’était, on verrait qu’eux ne se la posent pas!

Le même schéma se répète partout. Les femmes de talent ne manquent pas: évidemment! Leur excellence et leur pertinence ne font aucun doute: évidemment! Leur aptitude à s’attaquer aux problèmes du monde n’est jamais contestée par ceux qui les côtoient dans toutes ces activités: évidemment! Mais le fait est qu’on ne les voit guère, et parfois pas du tout, comme sur toutes ces images invraisemblables montrant des hommes probablement doctes et sans doute vénérables discuter seuls des problèmes du monde, autour de ces tables rondes de l’absurde où pas une femme ne siège, ou dans ces innombrables panels d’experts sans expertes.

L’absence des femmes devient visible

Avec un tant soit peu de recul, ce qui saute aux yeux dans l’espace public, ce n’est pas l’incompétence des femmes, mais leur absence. Ou plus précisément -et c’est une nuance qu’il est important de souligner-, ce n’est pas tant l’absence des femmes qui saute aux yeux, que la présence exclusive des hommes. Et il y a là bien plus qu’une subtilité de langage. De comités de spécialistes sans femmes en conférences et tables rondes 100% masculines, on s’habitue à voir les hommes nous parler de tout et analyser le monde, et c’est tout naturellement que se forme en chacun l’image mentale d’une connexion directe entre le fait d’être présent sur une estrade, une scène ou un plateau télé, et le fait d’être un homme. L’absence des femmes n’est pas véritablement remarquée: elles sont hors-champ, et c’est bien tout le problème.

Mais la situation est en train d’évoluer. Non pas parce que les femmes deviennent visibles, mais parce que leur absence le devient! Et dès lors, elle choque. D’où la réaction de quelques-uns, bien décidés à faire cesser cette absurdité qui, il faut bien le dire, ternit singulièrement l’image de la société tout entière. Et c’est là que le miracle de l’empowerment vient opérer, par lequel chacun de nous peut mettre en oeuvre avec une efficacité redoutable un pouvoir dont il ne soupçonnait pas jusqu’alors qu’il était détenteur.

Trop facile de prétendre que « ce n’est pas notre faute »

En marge des canaux habituels de l’action politique et de la revendication, loin des déclarations, dénonciations et proclamations solennelles, « nous » -un « nous » de plus en plus large, incluant signataires de l’appel #JamaisSansElles et relayeurs anonymes du mouvement qui l’accompagne- avons pris conscience que cette exigence élémentaire de la mixité, nous pouvions déjà nous l’appliquer à nous-mêmes. Ne dit-on pas qu’il suffit qu’un produit ne soit plus acheté pour qu’il cesse de se vendre? Eh bien, chiche: les marchants d’ostracisme, conscients ou inconscients, n’auront plus rien à vendre dès lors que nous n’achèterons plus leurs colloques, comités d’analyse ou espaces de débats et de décision exclusivement masculins. Et ainsi va #JamaisSansElles.

Si nous refusons désormais de participer à ce genre de grotesqueries, et le faisons savoir afin que les organisateurs d’événements s’alignent ou aillent chercher ailleurs, c’est aussi parce qu’avec le pouvoir donné à tout citoyen vient une responsabilité qu’il n’est plus possible d’éluder. Il est trop facile de se laver les mains et de prétendre que « ce n’est pas notre faute » si des femmes ne sont pas invitées. Car ça le devient vite si nous nous prêtons au jeu!

Il ne s’agit certes pas pour les hommes de donner aux femmes, avec toute la condescendance que cela trahit, une place et une légitimité qui leur reviennent de fait. Il n’est pas question de donner, mais de cesser de prendre. Ni d’accueillir des femmes aux positions visibles et d’influence, mais de cesser de les en exclure. Car ne nous y trompons pas, partout où elle opère, l’exclusivité masculine résulte en premier lieu d’une exclusion.

Une non-mixité insupportable

Il est vrai que les exclusions sont nombreuses, réciproques et croisées, en ces temps où l’économique l’emporte sur l’humain, où les sociétés s’ouvrent plus vite que les esprits et peinent à absorber le choc de la diversité, notamment culturelle. Mais il ne s’agit pas ici de diversité. « Bien au contraire! », pourrait-on presque dire…

Car c’est la mixité que célèbre #JamaisSansElles et l’étymologie est ici sans ambiguïté. Mixer, c’est mélanger. Non pour faire disparaître les différences, mais pour faire apparaître les similitudes. À l’inverse, dès qu’il y a diversité, il y a diversion, division et bientôt divergence. Mettre l’accent sur la diversité comporte ainsi le risque effectif de souligner ce qu’il conviendrait au contraire de gommer, et l’on connaît à cet égard les dangers d’un communautarisme assumé jusqu’à l’exclusion ou l’auto-exclusion. L’enjeu de la diversité, c’est que chaque composante puisse être vue, tandis que la mixité devrait précisément être invisible. C’est la non-mixité qui se voit, qui doit enfin se voir pour ce qu’elle est (une aberration) et le succès de #JamaisSansElles nous montre que cette non-mixité commence en effet à devenir si visible qu’elle n’est plus supportable à la vue!

Or plutôt que de détourner le regard, il est bel et bien possible aux hommes de peser de tout le poids qui leur est magiquement accordé pour que les choses changent rapidement. On ne va pas s’en priver!

Etienne Parizot, astrophysicien, membre-fondateur de l’association #JamaisSansElles qui compte une centaine de dirigeants masculins signataires français et danois et plus de 27 millions de personnes touchées sur Twitter.

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