Tribune : « Le radicalisme nuit au combat féministe » parue dans Le Point

Le mouvement #JamaisSansElles s’oppose aux méthodes de lutte radicales de certains collectifs féministes. Il propose un autre modèle.

Par les membres du mouvement #JamaisSansElles*, tribune parue dans Le Point, 2 novembre 2022.

Les combats féministes du vingtième siècle, fondamentalement universalistes et laïques, avaient un objectif clair : l’émancipation des femmes, avec d’une part l’acquisition des droits civils et des libertés fondamentales accordées indistinctement à tout être humain au sein d’une même société, et d’autre part l’accès à l’indépendance réelle, et pour cela, en particulier, à l’indépendance économique. Ce début de vingt-et-unième siècle est quant à lui marqué par un mouvement global de « libération de la parole », dont nous ne pouvons évidemment que nous réjouir, et qui met l’accent sur des modes moins visibles d’oppression, profondément ancrés dans les comportements sociaux, publiques et privés. Dans un contexte où la justice peine encore trop souvent à répondre de manière appropriée aux nombreuses formes que peuvent prendre les violences faites aux femmes, et aux menaces qui les visent particulièrement, ce mouvement rend un précieux service à l’ensemble de notre société en mettant en lumière certaines zones d’ombre de notre système judiciaire et en favorisant son évolution. Ce qui est moins réjouissant, en revanche, c’est la tendance à recourir à des méthodes de lutte qui ne sont pas seulement critiquables du point de vue de l’éthique humaine parfois la plus élémentaire, mais qui le sont parfois même au regard de la loi (atteinte à la présomption d’innocence, dénonciation calomnieuse, harcèlement…).

Libérer la parole des femmes, ce n’est pas la sacraliser. La rendre audible, ce n’est pas la rendre unique. Si la juste revendication pour une égalité entre les hommes et les femmes doit se transformer en un discours systématiquement victimaire, doublé d’une misandrie latente qui fausse les débats, s’il s’agit de déconstruire le « mâle blanc » désigné comme la cause de tous les maux de notre civilisation occidentale, alors nous ne sommes fondamentalement pas d’accord.

Féminisme humaniste

Au sein de notre mouvement #JamaisSansElles, nous avons toujours souhaité avancer conjointement, main dans la main, femmes et hommes de bonne volonté, conscients de la nécessité de s’engager ensemble, dans l’intérêt de tous et la confiance réciproque. Le but n’est-il pas, précisément, la réconciliation et la construction d’un monde plus juste où les rapports entre individus d’une même société ne reposent pas sur des rapports de force sans lien avec leurs contributions effectives à la société, mais sur la reconnaissance de leur égale dignité et de leur égale participation à la richesse et au développement de notre noble espèce humaine ? C’est pourquoi nous ne cessons de le clamer, haut et fort et en chaque occasion : notre féminisme est un humanisme !

Nous sommes préoccupés par la montée d’une forme d’activisme qui vise de plus en plus à dénoncer des coupables.

 

Qui peut espérer gagner le respect et la considération en les refusant à ses interlocuteurs ? Or, précisément, un certain courant “féministe radical” ne souhaite pas d’interlocuteurs. Il semble parfois ne viser qu’à réduire au silence toute voix insuffisamment alignée. Y compris celles de femmes, et y compris celles de féministes historiques dont les accomplissements, sur les plans sociétal, politique et privé, n’ont pourtant rien à envier à ceux de leurs néo-héritières, dont les combats et les objectifs gagneraient à se voir clarifier. De fait, les féministes historiques et universalistes ne se sont jamais privées de dénoncer haut et fort le patriarcat, dans toutes ses formes, y compris les moins visibles car les plus intégrées à nos modes d’organisation sociale et familiale. Il s’agissait, et il s’agit toujours, de créer les conditions d’une prise de conscience globale et d’une réflexion sur la manière dont nous tous, citoyens, hommes et femmes, entendons vivre ensemble, afin de rendre possible l’indispensable évolution des normes, des comportements et des droits. Mais la dénonciation d’une oppression ou d’une injustice ne saurait être l’unique objectif. Encore moins la vengeance.

C’est pourquoi nous sommes préoccupés par la montée d’une forme d’activisme, hélas encouragée par de nombreux médias, qui vise de plus en plus à dénoncer des coupables et à désigner, selon des critères à géométrie étonnamment variable, des vertueux et des non vertueux, ou insuffisamment vertueux, qu’il conviendrait de livrer à l’opprobre populaire, voire de châtier en place publique. Dans le domaine du féminisme comme dans d’autres, l’idée semble s’être imposée que la radicalité était nécessairement une vertu, voire l’unique gage de la sincérité, la condition sine qua non de l’engagement, la seule preuve d’authenticité. Or nous pensons précisément le contraire !

Féminisme d’action

C’est pourquoi nous avons opté pour un féminisme d’action. Et ce que nous avons accompli en quelques années à peine avec notre mouvement #JamaisSansElles, notamment au travers des chartes co-construites avec les entreprises, les associations ou les institutions, prouve qu’il y a, au sein de la société civile, de puissantes forces de coopération et une très large majorité silencieuse d’hommes et de femmes décidés à œuvrer concrètement, sur le terrain, au rééquilibrage rapide de notre modèle civilisationnel, afin que les femmes accèdent, pleinement et rapidement, à une égale reconnaissance, participation et représentation dans toutes les sphères de la société, et que la gouvernance réellement partagée devienne une réalité effective.

Être féministe, c’est d’abord et avant tout refuser toute assignation de la femme.

C’est sur ces forces et ces engagements, individuels et collectifs, qu’il convient de s’appuyer en priorité. Et c’est pourquoi celles et ceux qui se préoccupent sincèrement de tels objectifs sociétaux ne peuvent que s’inquiéter de la montée en puissance d’un radicalisme de combat, qui crée plus souvent les conditions d’une guerre fratricide que d’une évolution réelle des normes et des comportements. Quel absurde contre-sens quant à l’essence même du féminisme – et quel dangereux fourvoiement ! –, qu’un tel mouvement de plus en plus virulent visant à essentialiser les hommes, et à les désigner comme les ennemis héréditaires de la gent féminine. L’essentialisation est précisément ce contre quoi les féministes se sont toujours battues. Être féministe, c’est d’abord et avant tout refuser toute assignation de la femme, du fait de son sexe, à des tâches, des rôles, des pensées ou des comportements particuliers. Ce qui doit garantir aux femmes une égale considération au sein de la société et une égale participation aux affaires humaines, avec pour seules limites celles de leurs choix personnels et de leurs compétences individuelles, ce n’est rien d’autre qu’une égale valeur essentielle, une égale dignité, une égale participation à la nature humaine.

C’est pourquoi nous le proclamons de nouveau : notre féminisme est un humanisme ! Et l’humanisme est le combat de tous pour tous, contre personne !

Tatiana F-Salomon, présidente-fondatrice de #JamaisSansElles, Jean-Michel Blanquer, président du Laboratoire de la République, Étienne Parizot, astrophysicien et vice-président de #JamaisSansElles, Philippe Charlier, directeur du Laboratoire anthropologie, archéologie, biologie (LAAB) Université Paris-Saclay, vice-président de #JamaisSansElles, Natacha Quester-Séméon, directrice générale de #JamaisSansElles, Thierry Jadot, entrepreneur, secrétaire général de #JamaisSansElles.

Pour le Conseil Féminin : Irène Tolleret, député européenne, Chantal Roche, Médecin Générale (R) et Fondatrice et présidente d’honneur de l’association “Avec les femmes de la défense”, Rachel Khan, écrivain, juriste, éditorialiste, Isabelle Gougenheim, Administratrice ADMOD, Sophie Iborra, entrepreneur, Moïra Marguin, Directrice pédagogique, Katja Tochtermann, directrice marketing, Pascale Reynaud, productrice radio.

Pour le Club des Gentlemen : Xavier Alberti, entrepreneur, Claude Posternak, entrepreneur, David-Hervé Boutin, entrepreneur culturel, Sacha Quester-Séméon, entrepreneur, Olivier Mousson, entrepreneur du bien commun, Mathieu Bertolo, entrepreneure, Jean-Paul Lilienfeld, cinéaste, Sylvain Attal, journaliste, Laurent Guez, journaliste.

Pour le Pôle juniors : Philippine Dolbeau, entrepreneure, co-responsable du pôle juniors, Olivier Marcilhacy, étudiant, co-responsable du pôle juniors, Hugo Jardin, auteur, compositeur, interprète, porte-parole jeunesse.

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